18 Déc – Avoir peur de la mort signifie que l’on a des raisons de vivre, c’est aimer la vie.

Ce matin je reste au lit jusqu’à 9h30, la nuit a été longue, ça soufflait vraiment très fort. Hier soir j’ai écourté mon journal parce que les coupures Wifi étaient trop pénibles.
Comme vous avez dû l’apprendre à la télé peut-être ?? L’île de Palawan où je suis est touchée par les typhons qui arrivent du Viêt-Nam, ce sont des tempêtes tropicales très violentes qui se sont déchainées, je ne connais pas les dégâts causés sur l’île mais certains d’entre vous avec les informations en France en savent plus que moi.
Les forces de la nature pendant toute la nuit se sont déchainées sur mon paradis, je ne vais pas vous mentir je n’en menais pas large, ça soufflait violemment et seul dans ma chambre je n’étais pas à l’aise, j’entendais ces sifflements rageurs du vent qui veut tout emmener avec lui, mon bungalow est en dur, mais je n’ai pas de vitre aux fenêtres ni de volet, juste des grilles anti-moustiques et ce sont des lamelles en bois à l’intérieur que l’on ouvre ou ferme.
Bien sûr les rafales de vent et d’eau arrivent à s’insérer et ces bruits, ces sifflements resteront longtemps gravés dans ma mémoire. L’électricité que je n’ai que le soir s’est coupée comme je m’y attendais et avec ma petite lampe de torche je suis assis à attendre que tout cela se calme, les questions que je me pose à ce moment sont assez mystérieuses pour que je les garde secrètes. J’enregistrais mes questions, mes doutes, mes peurs sur mon fidèle dictaphone et ce matin en réécoutant ces dizaines d’enregistrements souvent très courts j’ai eu honte, j’ai effacé ces traces de faiblesse, comme j’aimerais pouvoir effacer le souvenir de cette longue nuit.
Mai 2002 : Pérou, un peu en retrait de Cuzco je suis dans ma chambre, je range mes affaires je viens d’arriver, tout à coup un silence très court, puis un tremblement, une force inimaginable et la terre se met à trembler, mon corps ne m’appartient plus mon équilibre est rompu, cela dure qques secondes et puis de nouveau le silence, c’est fini !!
Ces secondes sont encore là en moi, ceux qui ont éprouvé ces secousses ne les oublient jamais.
Je pense que c’est cela la vie des secondes inoubliables de joie, de peur, de sensations que l’on est parfois seul à percevoir, elles sont importantes !!!.
Avoir peur de la mort signifie que l’on a des raisons de vivre, c’est aimer la vie.
Là tout de suite … Je suis devant 5 petites crêpes chaudes au chocolat, un thé au lait, un grand verre de jus d’ananas frais et je regarde ce site enchanteur, le vent est toujours présent, piaffant comme un boxeur en attente d’un nouveau round, et le ciel n’attend qu’un ordre venu de plus haut pour changer son début de bleu par un gris foncé.

Je comprends mieux toutes ces églises si solidement construites, ce ne sont pas uniquement des refuges pour les âmes pieuses, elles seules sont conçues pour affronter 15 rounds mère nature.

Les bateaux dans le port semblent ne pas avoir souffert, tout semble normal sauf ces débris de branches un peu partout, et quand avec mon Anglais à peine scolaire j’essaie d’avoir des nouvelles des éventuelles victimes, la réponse ’’I don’t know sir ??’’ ne me satisfait pas trop, mais les sourires sont toujours présents.
Demain Lundi je repars pour Puerto Princesa qui a été touché 2 fois par la tempête hier, j’espère que l’aéroport sera fonctionnel mercredi ou jeudi au plus tard, sinon je suis très mal.

J’ai reçu qques messages d’entre vous qui connaissaient la situation ici et qui s’inquiétaient de ma santé, je les en remercie sincèrement. Dans mes réponses je leur demandais de ne pas inquiéter ma famille, la tempête est passée tout va bien maintenant, il n’est que 11h et je vais aller voir en ville si mon Market n’a pas trop souffert et si mes joueurs de billards sont au RDV.

Ils étaient tous là mes joueurs de billards, mes craintes se sont avérées excessives, disproportionnées, démesurées, ils vivent ces moments difficiles tous les ans, même si il y a des années plus fortes que d’autres, j’en ai vécu une puissante rien de très important à leurs yeux.
Il n’y aura pas de photo aujourd’hui, je n’ai pas pris mon Nikon ce matin pour ma balade. Tout le personnel de l’hôtel sait que j’aime le poisson, alors ce soir Gambas, Calamars, Thon Sweet & Sour, Friture à l’apéro, tout ça c’est le cadeau d’adieu à Gigi.
Je suis resté 6 jours à Taytay autant que chez Lee. Chez mes amis Coréens la connexion s’est faite le premier jour, à Taytay il m’a fallut 2/3 jours pour faire partie du décor, mais c’était génial.
J’apprends que d’autres typhons qui viennent encore du Viêt-Nam risquent de passer de nouveau sur Puerto Princesa, demain ou après demain personne ne peut être précis, j’attends d’avoir une connexion Wifi pour le savoir.

Nous ne sommes que Dimanche, d’ici jeudi, mon départ pour la France, tout peut s’arranger …
Faites attention à vous
GG

Comment ne pas aimer Baudelaire ???

Le Voyage
Extrait Des Fleurs Du Mal. Charles Baudelaire

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom

II

Nous imitons, horreur ! La toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où !
Où l’homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! »
Une voix de la hune, ardente et folle, crie.
« Amour… gloire… bonheur ! » Enfer ! C’est un écueil !

Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.

Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ;
Son œil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Etonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.

Dites, qu’avez-vous vu ?

IV

« Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

« La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

« Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.

JC les nuages les merveilleux nuages
Et toujours le désir nous rendait soucieux !

« - La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

« Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? – Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !

« Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

« Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »

V

Et puis, et puis encore ?

VI

« Ô cerveaux enfantins !
« Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché

« La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ;

« Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

« Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

« L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! »

« Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense !
– Tel est du globe entier l’éternel bulletin. »

VII

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! Des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : « Par ici ! Vous qui voulez manger

« Le Lotus parfumé ! C’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin ? »

A l’accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylade là-bas tendent leurs bras vers nous.
« Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! « 
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie